-Qu’est-ce que c’est ? !
La voix d’homme, empreinte d’agacement, traversa la porte.
-Euh…c’est la voisine…du 1er. Excusez-moi…mais il y a une espèce de … bête.. chez moi et je ne sais pas quoi faire…
Le silence se fit et la porte s’ouvrit soudain sur un sexagénaire, de taille imposante, à la chevelure presque entièrement blanche qui accentuait le hâle de sa peau. Les sourcils froncés, l’homme affichait un air méfiant, sur un visage chiffonné par un sommeil visiblement avorté.
Il toisa la jeune femme plantée sur son paillasson, remarquant qu’elle était nus pieds-. Celle-ci, apparemment gênée balbutiait quelques explications confuses, à demi camouflée derrière les poils d’un Yorkshire tremblotant dans ses bras.
– Il y a un insecte chez moi, il est très gros, verdâtre, j’ai peur des insectes, s’il vous plaît, pourriez-vous venir voir ? J’ai sonné chez tous mes voisins d’étage mais ils sont absents. S’il vous plaît, vous voulez bien ?
L’homme grommela quelques sons incompréhensibles et fit un pas dans le couloir. Il la suivit sans un mot jusque l’étage inférieur. Hésitante, elle entra dans l’appartement qu’elle habitait où une bestiole, nullement invitée, avait élu domicile.
Elle jeta un furtif coup d’œil sur les parois du studio.
– Alors voyons… elle est… enfin elle était… là, sur cette cloison.
Leurs regards restèrent figés en direction du mur désigné par la jeune femme. Sur le papier peint uni qui le garnissait, rien d’inhabituel, juste quelques photos épinglées ça et là.
– Je ne comprends pas, elle était pourtant bien là… bredouilla t-elle alors qu’elle sentait la chaleur envahir son visage, face à l’air soupçonneux et au sourire lubrique qui se dessinait sur les lèvres du voisin. Elle aurait jurer y lire : « Alors, on se sentait un peu seule, on manquait de compagnie ?! » Cette simple pensée l’écœura, quand soudain :
-Attention, elle est derrière vous !
Les yeux exorbités, elle pointait son doigt au-dessus de l’homme qui, surpris, se détourna vivement.
– Mais… c’est un grillon ! persifla t-il.
– Ah ! ? Eh bien… Faites-le sortir, s’il vous plaît… par la baie vitrée ! Tenez, un torchon !
L’homme ayant pris conscience de la légitimité de sa « mission », saisit le morceau de tissu qu’elle lui tendait et tandis qu’elle reculait dans un coin de la pièce, en asséna, d’un geste maladroit, un grand coup au grillon, qui, affolé, vint s’agripper…
– Là, dans votre dos, sur votre chemise !!!
L’homme, oublieux de son image et contaminé par l’agitation ambiante, se vit à son tour pris de panique et fut en un éclair sur le balcon, s’acharnant sur les boutons de sa chemise qui finit par s’ouvrir, non sans une gymnastique burlesque et ridicule, offrant à un éventuel spectateur de hasard, quelques minutes d’une jouissance aussi jalousable qu’inopinée.
Bien qu’un peu honteuse de la position dans laquelle elle avait mis son sauveur, la jeune femme, le visage à nouveau masqué par le pelage trop rare de son « chien- bouclier », ne pouvait détacher ses yeux de la scène, captivée par son aspect délirant.
Le monstre ayant repris un envol forcé au-dessus du parking de la résidence, le héros se rhabilla hâtivement et conscient d’avoir quelque peu perdu la face, sortit de l’appartement, feignant à l’occasion d’ignorer les remerciements de la voisine, qui tentait de maîtriser un fou rire, qu’elle libéra sitôt la porte refermée.
Le lendemain matin, alors qu’elle sortait de l’immeuble, elle ne remarqua pas, assis sur un muret un peu plus loin, deux hommes chuchotant comme des gamins, l’un venant de prendre connaissance de l’aventure vécue par l’autre, dans une version …dont nous n’aurons pas connaissance.
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